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L'immense attrait de Miyazaki, c'est de réussir à faire du sensoriel : le truc dont tu sembles manifestement dépourvu pour lui avoir préféré l'intellectualisme. Ainsi as-tu surement dû regarder "le vent se lève", monocle sur le nez, en jugeant "l'histoâââre ainsi rendue, ses ressôôôrts dramatiques, les personnââââges qu'il faut sentir" ; mais Miyazaki - arrêtez de parler de Takahata, le tombeau etc è_é - c'est surtout du naturalisme, l'odeur de l'herbe mouillée à travers l'écran, le vent dans la face, le tissu sous la main, la pêche juteuse, l'odeur de l'encens et de la cabane boisée, les doigts qui s'enfoncent dans le moelleux, l'herbe entre les orteils...c'est CA Miyazaki : de la sensation DIRECTE, tellement bien faite qu'elle va vers le spectateur même si celui-ci résiste.
Le sensualisme dans un film passe nécessairement par la suggestion, c'est ton esprit qui reconstitue le truc à partir de tes propres expériences passées. La sensation ne passe évidemment pas directement ...
Il y a plusieurs façons différentes de faire remémorer des sensations liées à des souvenirs chargés émotionnellement, parmi lesquelles évoquer le contexte social dans lequel l'émotion a été vécue, évoquer les motifs visuels qui l'ont accompagné (vapeur d'eau, feuilles tendres), évoquer les sons qui lui sont associés (bruissement des arbres, vol d'un insecte, ...), ...
Mais ces sensations suggérées ne sont pas une fin en soi, sauf à considérer qu'il s'agit seulement de se remettre dans la position passive de l'enfant qui regarde les dessins animés le samedi matin. Il y a beaucoup plus de choses à tirer des films des studios Ghibli, y compris des choses très profondes (mais toujours intuitives).
Notamment les rapports à la communauté, à l'environnement, à l'homme (pour la femme), à la femme (pour l'homme) ... le rôle de l'éducation, la dimension construite des sociétés, la continuité historique (ancrage dans une tradition et projection vers l'avenir), etc. Ce n'est pas un hasard s'il existe des thématiques aussi récurrentes chez Ghibli.
Et oui, toutes ces valeurs sont anti-libérales.
Les sensations suggérées sont au service de ces thématiques, elles permettent de sortir de l'abstraction et de les "sentir" en quelques sortes, d'en appréhender les tenants par leur dimension affective.
C'est ce qui fait l'universalité des productions Ghibli, les enfants comme les adultes y sont réceptifs, ce sont les mêmes leviers qui sont mobilisés pour les deux publics. Les adultes peuvent mieux expliquer ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont compris, mais au final c'est bien la dimension affective qui a été mobilisée chez les deux.